Un trésor gelé en Antarctique : quels secrets climatiques va nous dévoiler cette glace d'1,2 million d'années ?

En Antarctique, une équipe de chercheurs a extrait une carotte de glace vieille de 1,2 million d’années à 2 800 mètres de profondeur. Un exploit scientifique qui pourrait révéler les mystères climatiques du passé…

Ce forage, réalisé dans des conditions extrêmes, est une prouesse scientifique. Mais il est surtout une alerte.
Ce forage, réalisé dans des conditions extrêmes, est une prouesse scientifique. Mais il est surtout une alerte.

Depuis des millénaires, les calottes glaciaires, comme celle de l’Antarctique conservent une mémoire unique : l'histoire de notre climat.

Voyage à travers le temps

Lorsque la neige tombe et s’accumule, elle se compacte progressivement sous son propre poids, formant ainsi de la glace. Chaque couche de glace emprisonne une multitude d’indices sur les conditions environnementales passées.

Les bulles d’air piégées révèlent la composition atmosphérique, tandis que la structure même de la glace, les poussières et les isotopes qu’elle contient témoignent des températures, des précipitations et des événements climatiques majeurs. Ces archives naturelles sont essentielles pour comprendre l’évolution du climat et anticiper les bouleversements à venir.

Si le projet européen EPICA de 2004 a permis aux scientifiques de remonter jusqu’à 800 000 ans en arrière, aujourd’hui, Beyond EPICA – Oldest Ice a réussi une avancée majeure en récupérant de la glace vieille de 1,2 million d’années en Antarctique.

On a récupéré 1,2 million d’années d’enregistrement continu dans la glace, mais on a peut-être même plus. Frédéric Parrenin, directeur de recherche au CNRS et coordinateur de la partie française du projet.

Début janvier 2025, les chercheurs ont annoncé avoir atteint, à 2 800 mètres de profondeur, des glaces encore plus anciennes, repoussant les limites de notre compréhension des cycles climatiques passés.

Le climat dans la glace

Pour déterminer l’âge de la glace, et avec lui, découvrir l’histoire du climat, plusieurs techniques avancées sont utilisées. Parmi celles-ci, on peut citer les "horloges chimiques" qui sont particulièrement efficaces : elles permettent de dater les couches de glace en analysant les particules, comme les poussières ou les sulfates volcaniques, et en les comparant à des événements connus.

Par ailleurs, les "bulles d’air", vieilles de millions d’années, emprisonnées dans la glace contiennent des échantillons de l’atmosphère ancienne, permettant d’étudier l’évolution des gaz à effet de serre (GES) comme le CO2 et le méthane (CH4).

Ces données permettent ainsi de dresser un tableau précis de l’évolution du climat à travers les âges. Les chercheurs espèrent ainsi pouvoir affiner leur compréhension des changements climatiques sur des échelles de temps très longues, jusqu'à 34 millions d’années.

Révélation

L’un des plus grands enjeux du projet Beyond EPICA est d’élucider une énigme vieille de 900 000 ans : pourquoi les cycles climatiques de la Terre ont-ils changé à cette époque ?

En effet, les cycles climatiques, qui régissent les périodes glaciaires et interglaciaires, ont subi un changement majeur il y a entre 900 000 et 1,2 million d’années. Alors que les cycles précédents étaient de 41 000 ans, ils se sont soudainement étendus à 100 000 ans.

Les scientifiques soupçonnent une baisse progressive du CO2 d’avoir joué un rôle clé, mais les détails restent flous. Une partie de la réponse pourrait se trouver dans ces nouvelles carottes de glace.

"On veut aller au point de départ de ce changement de cycles pour comprendre ce qu’il s’est passé". Frédéric Parrenin.

L’analyse des bulles d’air piégées dans la glace a mis en évidence les fluctuations naturelles des concentrations de GES. Pendant les cycles glaciaires des 800 000 dernières années, les niveaux de CO2 ont oscillé entre 180 et 280 parties par million (ppm).

Aujourd’hui, cette concentration dépasse les 420 ppm, un niveau inédit depuis plusieurs millions d’années. L’étude des glaces polaires ne se limite pas à une meilleure compréhension du passé : elle met aussi en évidence l’empreinte de l’activité humaine.

Avertissement

En analysant les couches récentes de glace, les scientifiques ont découvert que les premières traces de pollutions dues à la combustion d’énergies fossiles apparaissent au XVIIIème siècle. Ces marqueurs illustrent non seulement l'évolution de l'atmosphère terrestre, mais ils témoignent aussi de l'impact croissant de l'humanité sur le climat.

Depuis 1993, la fonte des calottes glaciaires a contribué à une élévation du niveau de la mer d’environ 3,6 mm par an, et cette tendance s’accélère. D’ici 2100, selon les scénarios les plus pessimistes, la montée des eaux pourrait atteindre un mètre, menaçant des centaines de millions de personnes vivant dans les zones côtières.

Ces glaces anciennes sont une opportunité unique pour mieux comprendre l’évolution du climat sur le très long terme. Olivier Alemany, ingénieur de recherche au CNRS à Grenoble.

Si cette fonte se poursuit, une partie de cette mémoire climatique pourrait disparaître à jamais. La disparition de ces archives naturelles, qu’elles soient anciennes ou récentes, constituerait un dommage irréparable pour la science. Mais au-delà de cette perte, c’est toute l’équilibre de notre planète qui serait sérieusement compromis.

Sources de l'article :

Lucchese, V. (2025, 25 janvier). On a trouvé un trésor en Antarctique : 1,2 million d’années d’histoire climatique. Reporterre.

P., Arnaud (2021, 20 novembre). La glace le confirme : de la pollution datant du XVIIIème siècle. Altitude.