Notre stratégie carbone est-elle sur le point d'échouer ? Pourquoi ?

Des experts, dont Robert Watson, ancien président du GIEC, doutent désormais de la possibilité de limiter le réchauffement à 1,5°C d'ici 2100, face à l’augmentation continue des émissions et de la production d’énergies fossiles. Faisons le point.

Sans un changement de cap radical, nous risquons non seulement de dépasser le seuil de 1,5°C, mais de plonger dans une crise climatique bien plus grave.
Sans un changement de cap radical, nous risquons non seulement de dépasser le seuil de 1,5°C, mais de plonger dans une crise climatique bien plus grave.

De plus en plus de scientifiques, parmi lesquels Robert Watson, ancien président du GIEC (1997-2002), et ses collègues, expriment un profond scepticisme quant à la possibilité de compenser un dépassement temporaire de la limite de 1,5°C d'ici 2100. Ils doutent sérieusement que l'humanité puisse retirer suffisamment de CO2 de l'atmosphère durant la seconde moitié du 21e siècle pour parvenir à cet objectif climatique.

Courses aux émissions

En 2023, la production mondiale d'énergies fossiles a atteint des sommets inédits, accompagnée de records d'émissions de gaz à effet de serre et de températures extrêmes. Malgré ces signaux d'alarme, notre réponse à la crise climatique reste désespérément insuffisante.

Les dirigeants mondiaux continuent de promettre des actions ambitieuses pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, mais la réalité montre un décalage inquiétant entre les paroles et les actes.

Incohérence des politiques actuelles

Les engagements pris dans le cadre de l'Accord de Paris, en 2015, étaient ambitieux. Limiter le réchauffement climatique à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels semblait alors un objectif atteignable. Cependant, les actions menées depuis ne correspondent pas à ces promesses.

En dépit de certaines avancées, notamment dans le développement des énergies renouvelables, les émissions globales continuent d’augmenter. En 2023, elles ont atteint un niveau jamais observé auparavant.

Il est clair que la stratégie dite "net zéro" adoptée par de nombreux pays et entreprises, qui consiste à équilibrer les émissions par des technologies de capture et de stockage de carbone, repose sur des hypothèses dangereusement optimistes. Ces technologies, pour la plupart encore expérimentales, sont loin d’être prêtes à être déployées à grande échelle. Par ailleurs, elles ne s'attaquent pas aux racines du problème : notre dépendance aux combustibles fossiles.

L'illusion du dépassement

Un des concepts centraux de la stratégie carbone actuelle est celui du "dépassement" (ou "overshoot"). L’idée est que nous pourrions temporairement dépasser le seuil de 1,5°C, puis ramener les températures à des niveaux acceptables grâce à des technologies de capture du CO2 à grande échelle. Cette approche repose sur une croyance aveugle en des technologies non éprouvées, voire fictives. Elle néglige également les souffrances humaines et écologiques qu’un tel dépassement engendrerait.

Les conséquences du réchauffement climatique ne se manifestent pas uniquement par des chiffres moyens, mais par des événements climatiques extrêmes. L'année dernière, nous avons assisté à une série d’événements météorologiques sans précédent, un avant-goût des catastrophes qui se profilent si nous ne modifions pas radicalement notre approche.

Un piège économique et politique

Un autre obstacle majeur à l’efficacité de notre stratégie carbone est l’énorme inertie économique et politique autour des combustibles fossiles. Avec plus de 80 % de l’énergie mondiale encore fournie par ces derniers, toute transition rapide vers des sources d’énergie renouvelables est perçue comme une menace pour la croissance économique. Par conséquent, les gouvernements et les entreprises tardent à prendre des mesures décisives.

L'Accord de Paris devait permettre une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. Or, nous nous dirigeons vers une augmentation continue de ces émissions. Les plans actuels, centrés sur le net zéro, risquent de nous enfermer dans un futur où nous dépendrons de solutions technologiques coûteuses, incertaines et inefficaces.

Quelles solutions ?

Le constat est sans appel. il devient urgent de revoir notre stratégie carbone. Voici quatre pistes :

  • Laisser les combustibles fossiles dans le sol. Cela implique de cesser toute exploration de nouveaux gisements et de stopper le financement des énergies fossiles. La transformation du système alimentaire, responsable d’une part importante des émissions, doit également être une priorité.
  • Abandonner les objectifs de net zéro à long terme : Les promesses pour 2050 sont insuffisantes. Ce dont nous avons besoin, ce sont des réductions immédiates des émissions d’ici 2030.
  • Favoriser la justice climatique : les pays riches, historiquement responsables de la majorité des émissions, doivent intensifier leurs efforts et soutenir les pays en développement dans leur transition.
  • Investir dans l'adaptation : Nous devons préparer nos sociétés aux conséquences inévitables du réchauffement climatique, tout en réduisant activement les émissions.

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