La fonte du pergélisol en Sibérie : sommes-nous prêts pour l'avenir qu'elle révèle ?

Le pergélisol sibérien fond à une vitesse alarmante et libère d'énormes quantités de gaz à effet de serre. Cette fonte dévoile un avenir inquiétant avec des conséquences environnementales et sanitaires majeures. Faisons le point.

Cratère de Batagaika, Sibérie.
Cratère de Batagaika, Sibérie.

La Sibérie, vaste étendue de terres gelées, cache un secret de plus en plus difficile à ignorer : la fonte rapide du pergélisol. Cette région, autrefois immobile, est aujourd'hui le théâtre d'une transformation dramatique aux implications mondiales. Le cratère de Batagaï, surnommé à juste titre la « porte des enfers », symbolise cette menace grandissante.

Cratère hors norme

Le cratère thermokarstique de Batagaï, aussi appelé Batagaika, est apparu dans les années 1960. Ce cratère, situé à 660 kilomètres au nord-est de Yakoutsk, grandit avec une vitesse ahurissante, et libère chaque année des milliers de tonnes de gaz à effet de serre, comme le CO2 et le méthane. Sa progression rapide inquiète les scientifiques.

Les récentes études publiées dans la revue Geomorphology ont mis en lumière, pour la première fois, des données saisissantes. Depuis sa formation, le gouffre de Batagaï s'est agrandi d'environ 34,7 millions de mètres cubes. Un million de mètres cubes de pergélisol fond annuellement, libérant 4 000 à 5 000 tonnes carbone organique, auparavant piégé dans les glaces.

À mesure que les températures augmentent et que la pression humaine s'intensifie, nous verrons de plus en plus de ces méga-affaissements se former jusqu'à ce que tout le pergélisol ait disparu. Nikita Tananayev, chercheur senior à l’Institut du pergélisol Melnikov.

En 2023, ce gigantesque gouffre couvrait 87,6 hectares et mesurait 990 mètres de long, une augmentation de 200 mètres par rapport à 2014. Il est le plus grand gouffre de ce type au monde.

La déforestation massive en Sibérie centrale au siècle dernier a exposé le pergélisol au soleil, provoquant sa surchauffe et son effondrement. Combinée aux incendies de taïga et aux perturbations technogènes, cette action a accéléré le processus de dégradation du pergélisol.

Surveillance high-tech

Les scientifiques déploient des technologies de pointe, notamment les relevés par drones et la modélisation 3D, afin de surveiller de près et de prédire l'évolution des cratères, comme celui de Batagaika.

Le cratère continue de s'agrandir à un rythme affolant atteignant jusqu'à 12 mètres par an. Les données recueillies révèlent que ce phénomène n'est pas limité à une seule localisation, mais constitue un indicateur précurseur de ce qui pourrait se produire dans d'autres zones similaires.

Dangers climatiques et sanitaires

Le pergélisol stocke environ deux fois plus de CO2 que l'atmosphère terrestre. Sa fonte contribue davantage au réchauffement climatique. Ce cercle vicieux aggrave les conditions météorologiques extrêmes et perturbe les écosystèmes.

Outre les GES, le pergélisol renferme des virus anciens, certains datant de plusieurs milliers d'années. Si certains de ces virus pourraient être inoffensifs, d'autres pourraient causer des pandémies d'envergure. La libération de ces pathogènes ajoute une dimension sanitaire préoccupante à la crise environnementale actuelle.

Solutions

Le cratère de Batagaï, en se transformant chaque année un peu plus, nous rappelle avec insistance que la lutte contre le réchauffement climatique est une course contre la montre. La question n’est pas seulement de savoir si nous sommes prêts pour l’avenir, mais si nous sommes prêts à agir maintenant pour le façonner différemment.

La fonte du pergélisol en Sibérie est un avertissement clair : il est temps de repenser notre relation avec la nature. Pour y parvenir, il est essentiel de réduire significativement nos émissions de GES, proteger les forêts sibériennes et investir dans la recherche sur les pergélisols. Les gouvernements et les organisations internationales doivent collaborer pour développer des stratégies de gestion durable des terres arctiques.

Référence : Kizyakov, A. I., Korotaev, M. V., Wetterich, S., Opel, T., Pravikova, N. V., Fritz, M., Lupachev, A. V., Günther, F., Shepelev, A. G., Syromyatnikov, I. I., Fedorov, A. N., Zimin, M. V., & Grosse, G. (2024). Characterizing Batagay megaslump topography dynamics and matter fluxes at high spatial resolution using a multidisciplinary approach of permafrost field observations, remote sensing, and 3D geological modeling. Geomorphology, 455, 109183. https://doi.org/10.1016/j.geomorph.2024.109183

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