Insolite : planter des arbres en Arctique contribue-t-il au réchauffement de la planète ?
Et si planter des arbres à certaines latitudes faisait plus de mal que de bien ? Dans l’Arctique, cette initiative bienveillante pourrait devenir un cauchemar climatique. Explications.
Planter des arbres est souvent présenté comme une solution simple et efficace pour réduire les émissions de CO2. Mais en Arctique, cette idée bien intentionnée pourrait aggraver la crise climatique. Une étude récente publiée dans Nature Geoscience révèle un paradoxe : dans ces régions, planter des arbres réchauffe davantage la planète qu’elle ne la refroidit.
Un écosystème dominé par le "blanc"
Dans les zones polaires, la neige et la glace recouvrent le sol pendant une grande partie de l’année. Ces surfaces blanches réfléchissent environ 75 % de l’énergie solaire qui les atteint, c'est ce qu'on définit par le terme "albedo". Cette capacité à renvoyer la lumière vers l’espace contribue à maintenir ces régions à des températures basses.
Or, lorsque des arbres, sombres par nature, sont plantés dans ces paysages, ils réduisent le pouvoir réfléchissant. Les arbres absorbent une plus grande partie de la chaleur solaire, ce qui favorise la fonte de la neige environnante. Les données sont sans équivoque : une surface boisée couverte de neige ne réfléchit que 30 à 50 % de la lumière, contre 75 % pour la toundra enneigée.
En résultat, l’énergie solaire piégée contribue à un réchauffement accru, surpassant même le bénéfice climatique du CO2 capturé par les arbres.
Le sol, une bombe à carbone
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le sol arctique est une véritable réserve de carbone : il en contient plus que toutes les forêts tropicales du monde réunies. Planter des arbres peut déclencher un phénomène appelé "effet de priming".
Les racines des arbres libèrent des sucres dans le sol, stimulant l’activité microbienne. Ces microbes décomposent alors la matière organique ancienne, libérant du CO2 accumulé depuis des millénaires dans l’atmosphère. Une plantation dans l’Arctique peut ainsi émettre plus de carbone qu’elle n’en absorbe.
Ces forêts, déjà inadaptées comme puits de carbone en raison des spécificités du sol arctique, subissent en plus de nombreuses perturbations naturelles.
Des forêts vulnérables
Les forêts boréales sont loin d’être stables. Même si les arbres parviennent à s’installer, leur survie à long terme reste incertaine. Les feux de forêts, les infestations d’insectes et les tempêtes extrêmes, exacerbés par le changement climatique, ravagent régulièrement ces zones. Ces événements libèrent le carbone stocké par les arbres et rendent les forêts moins efficaces en tant que "puits de carbone".
De plus, les monocultures souvent employées pour les plantations amplifient ces risques. Les arbres de même espèce et du même âge sont plus vulnérables aux maladies et aux catastrophes. Sans une gestion intensive, difficile à réaliser dans des zones isolées, ces forêts ne peuvent pas tenir leurs promesses climatiques.
Un impact écologique et culturel
Planter des arbres dans l’Arctique ne menace pas seulement le climat, mais aussi la biodiversité locale et les modes de vie traditionnels. Les forêts modifient les habitats, menaçant les espèces qui dépendent des vastes paysages ouverts de la toundra.
De plus, les activités telles que l’élevage de rennes ou la chasse aux caribous, essentielles pour les communautés autochtones, sont mises en péril.
Alliée de la nature
Si les arbres ne sont pas la solution miracle, quelles alternatives avons-nous ? En Arctique, il semble que les solutions basées sur la nature, mais adaptées aux réalités locales, soient une voie bien plus prometteuse.
Les grandes populations d’herbivores comme les caribous et les bœufs musqués pourraient jouer un rôle essentiel. Ces animaux maintiennent les paysages ouverts en broutant la végétation et perturbent la neige, ce qui réduit son effet isolant sur le sol. Ainsi, les sols restent plus froids, limitant la libération de carbone.
Par ailleurs, ces herbivores protègent indirectement la biodiversité et constituent une ressource alimentaire vitale pour les populations locales. Soutenir ces écosystèmes naturels pourrait s’avérer plus efficace que des plantations d’arbres mal adaptées.
Référence de l'article :
Kristensen, J.Å., Barbero-Palacios, L., Barrio, I.C. et al. Tree planting is no climate solution at northern high latitudes. Nat. Geosci. 17, 1087–1092 (2024). https://doi.org/10.1038/s41561-024-01573-4