Réchauffement climatique : ces barrages qui menacent de s'effondrer
Des dizaines de milliers de barrages dans le monde atteignent la fin de leur durée de vie. À mesure qu'elles vieillissent, ces structures en détérioration provoquent une augmentation des effondrements et deviennent une menace sérieuse pour des centaines de millions de personnes vivant en aval.
Le XXème siècle a été une période prospère pour les constructeurs de barrages, en particulier en Asie. Ces barrages servaient à produire de l'hydroélectricité, stocker l'eau pour éviter les inondations et améliorer la navigation. Désormais, ces barrages barricadent la majorité des fleuves du monde et peuvent stocker l’équivalent d’un sixième de leur débit annuel total. On estime qu'ils seraient 19000 grands barrages - définis comme ceux de plus de 15 mètres - qui auraient déjà plus de 50 ans (durée de vie avant de nécessiter des réparations).
Mais cette étude pionnière de l'Université des Nations Unies (UNU) sur les risques croissants liés au vieillissement des barrages dans le monde avertit qu'un héritage vieillissant de barrages en ruine au-delà de leur durée de vie provoque une augmentation importante de ruptures, de fuites et de rejets d'eau d'urgence. Ces vieux barrages détériorés par le temps et le réchauffement climatique, qui entraîne des inondations toujours plus violentes, sont une combinaison mortelle pour les populations vivant en aval.
Les barrages chinois et indiens parmi les plus menaçants
La Chine compte environ 24000 grands barrages, beaucoup datant de l'époque de la Révolution culturelle. Un tiers de ces barrages étudiés en 2011 présente "un risque de haut niveau en raison de l'obsolescence structurelle et du manque d'entretien adéquat", a révélé une analyse de Meng Yang de l'Université des sciences et technologies de Huazhong (Chine). La Grande-Bretagne et le Japon ont les barrages les plus anciens, âgés respectivement de 106 et 111 ans. Les barrages américains ont en moyenne 65 ans.
Pourtant, les ingénieurs affirment que pour les prochaines décennies, les plus grandes menaces à venir se trouvent en Chine et en Inde (dont 600 barrages ont déjà un demi-siècle). En 1979, la désintégration du barrage de Machchhu, en Inde, lors d'une inondation, a tué 25000 personnes. Quatre ans avant, c'était le barrage de Banqiao en Chine qui a éclaté, envoyant une vague de 6 mètres de haut en aval et faisant 26000 morts. Et ces événements impliquaient des barrages âgés respectivement de 20 et 23 ans.
Leur disparition suggère qu'il pourrait y avoir d'autres bombes à retardement. Alors que peut-on dire du barrage Mullaperiyar, vieux de 125 ans et niché dans une zone sismique en Inde ? La relique de 53 mètres de hauteur s'est fissurée lors de séismes en 1979 et 2011. Et selon une étude indienne, elle pourrait ne pas résister à un séisme de plus de 6,5 sur l'échelle de Richter. "D'ici 2050, la majeure partie de l'humanité vivra en aval de grands barrages construits au XXe siècle" qui menacent "de rompre" indique le rapport de l'UNU.
Changement climatique et inondations extrêmes :
Le réchauffement climatique et le vieillissement des barrages menacent d'être une combinaison catastrophique et mortelle. "Les anciens barrages ont été conçus et construits sur la base de relevés hydrologiques à une époque antérieure au changement climatique. Maintenant, les choses sont différentes, et c'est inquiétant" explique le co-auteur du rapport Vladimir Smakhtin de l'Institut de l'eau, de l'environnement et de la santé de l'UNU au Canada.
Ces barrages vieillissants provoquent des risques de sécurité croissants, car leurs structures deviennent plus fragiles et le changement climatique accroît les contraintes notamment à cause de l'augmentation des débits extrêmes des rivières. L'étude de l'UNU montre une forte croissance du taux de ruptures de barrages depuis 2005 : plus de 170 échecs entre 2015 et 2019, alors qu'avant 2005, la moyenne était inférieure à quatre par an.
Certains barrages restent sûrs, mais tous nécessitent une inspection rigoureuse. Beaucoup d'autres devront être repensés pour faire face à des débits fluviaux extrêmes différents de ceux prévus lors de leur conception. Mais "certains barrages sont si grands qu'il est difficile d'imaginer comment aborder le problème", rapporte Vladimir Smakhtin : "le barrage de Kariba (en Afrique australe) est absolument énorme, et au milieu du siècle, il aura cent ans. Espérons qu'il y aura d'ici là une technologie pour le mettre hors service. Mais pour le moment, nous ne savons pas comment faire...".