Pourquoi les conflits liés à l'eau explosent-ils depuis 2010 jusqu'à maintenant ?
En 13 ans, les conflits liés à l’eau ont été multipliés par 13. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Depuis 2010, les tensions autour des ressources en eau ont bondi de manière spectaculaire, passant de 19 incidents recensés à 248 en 2023, selon les données du Pacific Institute. Cette multiplication par treize en seulement treize ans met en lumière un défi critique : l’eau, ressource essentielle à la vie, est devenue un catalyseur de tensions et de violences à travers le monde. Plusieurs facteurs interconnectés expliquent cette situation.
L'eau : à la fois une cible et une arme stratégique
Dans les zones de guerre, l’eau est souvent utilisée comme arme. Les infrastructures hydrauliques, telles que les barrages ou les systèmes de distribution, sont délibérément ciblées pour affaiblir les populations et miner la résilience des adversaires. En Syrie, la destruction des systèmes d’approvisionnement a privé des milliers de familles d’eau potable, aggravant une crise humanitaire déjà catastrophique.
En Ukraine, les frappes sur des barrages ont provoqué des inondations massives, transformant des régions entières en zones sinistrées. Ces exemples illustrent comment l’eau peut être utilisée comme outil de destruction, intensifiant encore les souffrances des populations civiles.
Cette dynamique tragique est également visible à Gaza, où l’accès limité à l’eau potable ne résulte pas seulement d’un manque de ressources naturelles, mais aussi de décisions stratégiques et politiques. Dans ces contextes variés, l’eau devient non seulement un bien convoité, mais aussi un levier pour exercer une pression dévastatrice.
Un terreau fertile pour les tensions locales
Même en l’absence de conflits armés, la raréfaction de l’eau exacerbe les rivalités locales. En Afrique, par exemple, les sécheresses de plus en plus fréquentes aggravent les tensions entre agriculteurs et éleveurs, déjà en concurrence pour des ressources limitées.
En Inde, la répartition inégale de l’eau alimente des violences au sein de certaines communautés, exposant au grand jour les inégalités structurelles. Ce phénomène dépasse largement les frontières locales : il reflète une tendance mondiale où l’insuffisance des ressources hydriques transforme des tensions latentes en conflits ouverts.
Et le changement climatique dans tout cela ?
Le changement climatique amplifie ces défis en bouleversant les cycles hydrologiques. Avec une fréquence accrue de sécheresses, d’inondations et de vagues de chaleur, la disponibilité de l’eau douce diminue considérablement. Par exemple, au Darfour, souvent qualifié de "premier conflit climatique", la rareté de l’eau a exacerbé les rivalités tribales, entraînant des violences massives.
En 2023, plus de 2,3 milliards de personnes vivaient dans des zones souffrant de stress hydrique élevé, selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Cette pression croissante est également visible autour du méga-barrage de la Renaissance, où l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie s’affrontent pour garantir leur part des précieuses eaux du Nil.
Cette situation illustre non seulement les tensions politiques, mais aussi les risques d’impacts sociaux massifs, notamment la dégradation des écosystèmes fluviaux et le déplacement de communautés locales.
Une opportunité pour la coopération ?
Malgré ces défis, l’eau pourrait aussi devenir un vecteur de paix et de coopération. Dans le bassin du Jourdain, bien que les discussions soient entravées par des différends géopolitiques, elles montrent l’importance du dialogue constructif pour éviter une escalade des tensions.
De même, les efforts pour une gestion partagée des nappes phréatiques en Afrique de l’Ouest démontrent que des solutions durables sont envisageables si la volonté politique et le financement suivent.
Cependant, ces exemples restent des exceptions. Les négociations autour du Mékong, vital pour des millions de personnes en Asie du Sud-Est, sont un rappel des défis persistants : les ambitions unilatérales de certains pays, comme la Chine avec ses centaines de barrages, fragmentent les écosystèmes et exacerbent les tensions. Ces rivalités ont des conséquences directes pour les communautés riveraines, qui voient leurs moyens de subsistance s’éroder et leur environnement se détériorer.
Plus le stress hydrique s’intensifie, plus l’idée d’une "paix positive", fondée sur la justice et l’égalité dans l’accès à l’eau, semble s’éloigner. Sans une action collective et urgente, l’eau, source de vie, pourrait devenir le plus grand facteur de déstabilisation mondiale.