Polynésie française : manger des mollusques serait cancérigène !
2 juillet 1966, date du premier essai nucléaire aérien sur l’atoll de Moruroa en Polynésie française. 55 ans après, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) rédige son bilan : il y a de fortes concentrations radioactives dans les mollusques consommés par une grande partie des polynésiens.
Qu’il s’agisse de radioactivité naturelle (présent dans la nature et notamment dans certains produits marins) ou artificielle (en lien avec les essais nucléaires), l’IRSN basée à Vairao à la presqu’île de Tahiti, est chargé de surveiller et d’étudier le taux de radioactivité de ce territoire d’outre-mer.
Dans son dernier rapport (2019-2020) publié fin 2021 et repris par le média local TNTV, l’IRSN dévoile que l’exposition aux rayonnements en Polynésie est la même que ces dernières années : 1,4 mSv/an alors que “la limite d’exposition du public est de 1 millisievert par an (mSv/an) en dehors des expositions médicales et naturelles”, rappelle l’institut sur son site. C’est bien moins que l’exposition en France métropolitaine, qui est de l’ordre de 3mSv/an.
Cette exposition radioactive est à plus de 99% d’origine naturelle, le reste (moins de 1%) serait dû aux retombées des essais nucléaires qui ont duré jusqu’en 1996. Il existe 4 “sources” de rayonnement naturel : le rayonnement cosmique (provenant du Soleil et des étoiles), l’inhalation d’un gaz radioactif naturellement présent dans les roches et les sols, appelé radon, à la présence de radionucléides naturels présents dans les sols et enfin à la radioactivité naturellement présente dans la nourriture et les boissons que nous consommons.
Quant à la radioactivité dite “artificielle”, elle peut provenir de plusieurs sources, notamment des retombés nucléaires suite à des essais ou à un accident. Mais aussi en lien avec des examens médicaux : “en France métropolitaine, une personne reçoit en moyenne 1,5 mSv chaque année, la moyenne mondiale s’établit aux alentours de 0,6 mSv/an”, selon l’IRSN.
En Polynésie “on peut constater que c’est le polonium 210 qui représente pratiquement 50% de l’exposition. (...) le potassium 40 qui est quelque chose de stable, indépendant de l’alimentation, représente 30 à 32% de l’exposition. Et la troisième composante importante, c’est le plomb 210 qui est de l’ordre de 10 à 17% en fonction des années”, explique Patrick Bouisset, représentant de l’IRSN en Polynésie française.
Or, deux de ces éléments - le polonium 210 et le plomb 210 - sont naturellement radioactifs car “descendants radioactifs de l’uranium 238” que l’on trouve partout dans la nature. “Donc ce sont des éléments qui ne sont pas du tout associés aux retombées des essais nucléaires”, indique le chercheur de l’IRSN.
Mais ces concentrations de polonium peuvent être dangereuses notamment pour les grands consommateurs de mollusques et crustacés. En effet, “on sait que pour des populations qui consomment beaucoup de produits marins, essentiellement des crustacés, cette exposition peut être beaucoup plus élevée”, explique Patrick Bouisset.
La concentration de polonium dans les crustacés pêchés en France n’excède pas 100 becquerels par kg (100 Bq/kg) en moyenne. Or, les derniers prélèvements de l’IRSN dans les 5 archipels qui composent la Polynésie française montrent des valeurs 4 fois plus élevées ! Notamment à Mangareva où les valeurs sont proches de 400 Bq/kg.
Conséquences : consommer de grandes quantités de mollusques, crustacés et notamment de bénitiers particulièrement appréciés par les locaux, pourrait faire grimper la dose de millisievert par an autorisée et acceptable pour la santé.
“On a fait un petit calcul pour des gens qui consommeraient par exemple 12 kg de bénitiers par an (env. 1kg/mois). La dose qui était initialement à 1,4 mSv/an passerait pratiquement à 2 mSv par an à Tubuai par exemple, mais elle pourrait atteindre pratiquement 10 mSv/an pour aux endroits où les concentrations en polonium peuvent atteindre 400 bq/kg. (...) Consommer 12 kg/an donc 1kg par an ce n’est pas forcément quelque chose de courant, mais ce n’est probablement pas irréaliste sur certains atolls”, rapporte le scientifique.
Cette consommation excessive de mollusques naturellement radioactif peut avoir des conséquences mortelles sur la santé. “À faibles doses, ce sont des dangers à long terme de cancers. Et plus la dose est élevée, plus le cancer est possible. C’est un risque supplémentaire qu’on peut prendre si on a des doses importantes”, rappelle Patrick Bouisset.