Patrimoine : faut-il sanctuariser la réserve de Scandola en Corse ?

Depuis quelques mois, la réserve de Scandola est au cœur de discussions houleuses entre l'Etat et les acteurs locaux. En jeu, le projet de révision de la réserve qui vise à renforcer la protection du patrimoine naturel. Avec cette équation à résoudre : comment concilier fréquentation touristique, pêche et préservation de la nature ?

La réserve naturelle de Scandola et les calanques de Piana.
La réserve naturelle de Scandola et les calanques de Piana.

Joyau de la côte occidentale de la Corse, Scandola, nichée entre Calvi et Girolata, a été le premier site de France dédié à la préservation du patrimoine terrestre et marin. En 1975, une réserve naturelle est créée pour protéger ce territoire riche de sa biodiversité. Avec son cadre d’une beauté rare, né de l’effondrement d’un ancien volcan dans les eaux entre Girolata et Galeria, cette aire protégée de 1585 hectares classée au patrimoine mondial de l’Unesco attire des centaines de milliers de touristes chaque année.

Un décret obsolète

Depuis plusieurs mois, le site est au cœur d'une réflexion qui crée des remous. En effet, si le décret de la réserve était à l’époque très en avance sur son temps, il est devenu totalement obsolète et inadapté à la réalité de ces dernières années. Environ 11 000 bateaux sont recensés dans la réserve d’avril à octobre, soit une moyenne de 50 bateaux par jour et 159 000 visiteurs sur les bateaux de promenade.

Le balbuzard pêcheur, véritable emblème de la réserve naturelle de Scandola, puisque c'est en partie pour sa protection que la réserve a été créée, cristallise les tensions. En effet, un rapport du CNRS de décembre 2018 jugeait déjà que « la population de balbuzard pêcheur s’effondrait dans la réserve naturelle nationale de Scandola » à cause du tourisme.

La mise en place de zones de protection renforcées

Pour remédier à cette situation, l’État souhaite la mise en place de Zones de protections renforcées (ZPR) autour des nids de balbuzards, avec une interdiction totale de naviguer 250 mètres alentour du 15 février au 31 août. Il prévoit également une zone de protection intégrale de 70 hectares autour de l’îlot de Gargalo, à Girolata. La préfecture maritime précise que « le balbuzard-pêcheur connaît en Corse depuis 2010 de fortes difficultés de reproduction » en raison notamment du « dérangement nautique, omniprésent à l’aplomb des nids notamment en été », qui constitue « une source importante de stress pour les oiseaux ».

Le balbuzard pêcheur, emblème de la réserve naturelle de Scandola.
Le balbuzard pêcheur, emblème de la réserve naturelle de Scandola.

Ainsi, depuis plusieurs mois, les réunions s'enchaînent à propos du projet de révision du décret de la réserve. L'objectif : trouver un consensus auprès des différents acteurs. La proposition du projet de décret présenté par les services de l’État en décembre dernier, sans concertation préalable des élus locaux, a reçu le soutien des associations de défense de l’environnement, mais la quasi-totalité des autres acteurs locaux y est opposée. Ainsi, les conseils municipaux des cinq communes concernées se sont prononcés contre, ainsi que le parc naturel régional et l’Assemblée de Corse.

Les acteurs locaux opposés à des mesures trop drastiques

En janvier, les pêcheurs professionnels avaient eux aussi fait entendre leur mécontentement. « Si on enlève tout ça aux pêcheurs, il vaut mieux se suicider, il vaut mieux nous dire d'arrêter la pêche professionnelle », estimait alors Xavier d’Orazio, premier prud’homme des pêcheurs d’Ajaccio.

Pêcheurs et élus proposent que les zones de quiétude soient adaptables au suivi de la reproduction des balbuzards, comme c'est le cas depuis 2021. C’est aussi le souhait de l’association des bateliers de Scandola. Créée il y a onze ans, la structure représente 90 % des sociétés qui travaillent dans la réserve. Les adhérents plaident pour la mise en place d’un système de licences en numerus clausus comme cela existe dans la réserve nationale des calanques de Marseille, avec une formation adéquate pour les professionnels, en collaboration avec l’office de l’environnement et le parc naturel régional qui délivreraient des brevets pour les pilotes et des fanions pour les armateurs.

Un projet d'extension de la réserve naturelle

Cette proposition est soutenue par l’office de l’environnement de Corse. Pour son président, Guy Armanet, il est nécessaire de faire avancer rapidement le projet d’extension de la réserve de Scandola avec la création d’une réserve naturelle de Corse qui s’étendrait de la presqu'île de la Revellata, au sud de Calvi, à Cargèse. « Quand on parle d’une réserve naturelle de Corse, cela veut dire qu’à l’intérieur, on va y mettre des quotas et des licences, précise Guy Armanet. On va avoir accès à la fréquentation des professionnels, des plaisanciers, on va réguler les choses pour que tout le monde y trouve son compte. »

Voté en 2020 à l’Assemblée de Corse, le projet de réserve naturelle a pris du retard faute de moyens logistiques et financiers. L'office de l’environnement assure qu’il est désormais une priorité. Quant au décret de gestion de la réserve, son contenu reste incertain. Si les débats sont tendus, c’est que l’enjeu est de taille. La réserve a perdu, en 2020, son label européen d’espace protégé en raison de la surfréquentation et de l’absence de protection des espèces. Sans la mise en place de mesures fortes, elle pourrait aussi perdre le prestigieux label Unesco. Le rapport d’enquête publique sera publié à la fin du mois. Le préfet devra ensuite rendre son avis. La rédaction finale revient au ministre de la Transition écologique.


Références

En Corse, faut-il sanctuariser ce site d’une beauté rare ?, Antoine Giannini, 10 mars 2025

“Il y a une dynamique intéressante en termes de coopération” : les discussions sur le nouveau décret de gestion de la réserve de Scandola se poursuivent, Kael Serreri et Audrey Altimare, le 07 mars 2025