Les experts constatent que le réchauffement de l'Arctique est trois fois plus important que les tendances mondiales !
Quantifier l'amplification du réchauffement dans l'Arctique (>65°N) par rapport aux moyennes mondiales, et les mécanismes qui la sous-tendent, sont des tâches qui mettent de nombreux scientifiques au pied du mur.
Le réchauffement de la planète est un problème omniprésent, et des efforts considérables sont déployés pour réduire les émissions et atténuer les prévisions du scénario le plus pessimiste du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, qui prévoit un réchauffement de 3,2 °C d'ici à 2100 (par rapport aux niveaux préindustriels).
Les mesures actuelles indiquent un réchauffement de 1,1°C sur l'ensemble de la Terre, mais les régions polaires connaissent un réchauffement de surface plus important que le reste de la planète.
Quantifier le réchauffement de l'Arctique
La quantification de cette amplification du réchauffement dans l'Arctique (>65°N) par rapport aux moyennes mondiales, et les mécanismes qui la sous-tendent, font l'objet d'une nouvelle recherche publiée dans Nature Geoscience.
Le Dr Wenyu Zhou, du Pacific Northwest National Laboratory (États-Unis), et ses collègues ont étudié les rapports précédents faisant état de facteurs d'amplification de l'Arctique de deux à quatre depuis 1979, et ont déterminé qu'un facteur de trois était plus probable, compte tenu de la variabilité naturelle de la Terre qui module les changements de température.
"La variabilité naturelle est comme un bruit", explique le Dr Zhou. "Même en l'absence de forçage externe (comme les changements dans les gaz à effet de serre), l'état du système climatique peut fluctuer en raison de la dynamique couplée de l'océan, de l'atmosphère et de la terre. Cette variabilité peut se produire à différentes échelles de temps (interannuelle, décennale, multiple) en fonction du "mode" correspondant.
Une amplification qui se compose en deux parties
"Par conséquent, l'amplification observée dans l'Arctique se compose de deux parties : la partie imposée par des forces extérieures et la partie due à la variabilité naturelle (conduisant à l'anomalie temporelle dans le degré d'amplification de l'Arctique).
"L'alarmante quadruple amplification de l'Arctique au cours des dernières décennies défie nos croyances antérieures et est rarement reproduite par les modèles climatiques", déclare le Dr Zhou.
"On ne sait pas encore si cette divergence reflète une anomalie temporelle due à la variabilité naturelle ou un état forcé du réchauffement de l'Arctique systématiquement sous-estimé par les modèles".
Pour ce faire, l'équipe de recherche a comparé les données d'observation avec les simulations de modèles et a constaté que la différence de facteur d'amplification entre les deux pouvait s'expliquer par la variabilité naturelle, en particulier par certains modèles océaniques et climatiques associés à la région. Il s'agit notamment de l'oscillation interdécennale du Pacifique et du mode interne de l'Arctique.
L'oscillation interdécennale du Pacifique est un schéma de 20 à 30 ans de changements climatiques et océanographiques dans les deux hémisphères de l'océan Pacifique, où les phases positives se caractérisent par un réchauffement vers l'est et un refroidissement vers l'ouest, qui s'interchangent pendant les phases négatives.
Une phase négative plus importante
La phase négative est plus importante car elle est liée à une plus grande fréquence des événements La Niña (les alizés poussent les eaux chaudes vers l'Asie, ce qui entraîne une remontée d'eaux froides et riches en nutriments le long de la côte américaine, ce qui accroît souvent la gravité de la saison des ouragans dans ce pays, et on a constaté qu'elle avait un effet réducteur sur le réchauffement de l'Arctique depuis 2000).
Par ailleurs, le mode interne de l'Arctique s'est réchauffé davantage depuis 2005. Ce phénomène est lié à des phases positives entraînant un réchauffement au-dessus de la mer de Kara, les régimes météorologiques anticycloniques apportant de l'humidité dans la région, ce qui stimule l'absorption du rayonnement à ondes longues et réchauffe la surface, entraînant la fonte de la glace de mer.
Une forte diminution de la glace de mer entraîne une rétroaction de l'albédo de la glace, ce qui accentue le réchauffement. Ce processus se produit en raison de la fonte de la glace de mer, qui réduit la surface réfléchissante "blanche" du rayonnement solaire entrant, au lieu d'augmenter la surface relativement "sombre" de l'océan pour absorber le rayonnement, ce qui réchauffe l'environnement et provoque une nouvelle fonte de la glace de mer qui poursuit une boucle de rétroaction incontrôlée.
Par conséquent, un facteur d'amplification cohérent de trois est identifié, qui correspond à celui utilisé dans les projets de comparaison de modèles couplés (CMIP6), ce qui confirme sa fiabilité pour prédire le changement climatique futur.
"Nous apportons ici des preuves évidentes que l'amplification quadruple de l'Arctique précédemment rapportée est une anomalie causée par des modes dominants de variabilité naturelle et que le degré d'amplification forcée est constamment de l'ordre de trois au cours de la période historique".
Une sensibilité des modèles de changement climatique
Cette recherche est importante car elle met en évidence la sensibilité des modèles de changement climatique et les conclusions tirées pour prédire les futurs schémas de réchauffement de la planète. La prise en compte de la variabilité naturelle et l'identification d'un facteur d'amplification de trois au lieu de quatre signifient que les futures stratégies d'atténuation ne devront peut-être pas être aussi sévères dans les décennies à venir.
En fait, M. Zhou et ses collègues suggèrent que le mode interne de l'Arctique devrait passer à une phase négative et l'oscillation interdécennale du Pacifique à une phase positive au cours des prochaines décennies, ce qui entraînera une réduction du facteur d'amplification de l'Arctique, peut-être même jusqu'à deux.
Référence de l'article :
Wenyu Zhou et al, Steady threefold Arctic amplification of externally forced warming masked by natural variability, Nature Geoscience (2024). DOI: 10.1038/s41561-024-01441-1