Enfouir le CO2 des industries sous la mer : une vraie solution ou un leurre ?
Capturer et enfouir le CO2 sous la mer : une solution technologique prometteuse ou un pari risqué aux conséquences environnementales incertaines ? Décryptage d'un projet controversé.
Pour réduire les émissions industrielles, le captage, le transport et le stockage du CO2 (ou CCS, Carbon Capture and Storage) s’imposent comme un enjeu majeur. Parmi les projets phares, l’initiative Callisto, portée par Air Liquide et ENI, vise à capter du CO2 à Fos-sur-Mer, le liquéfier, puis l’enfouir dans des cavités géologiques sous la mer Adriatique.
L’ambition ? Stocker jusqu’à 16 millions de tonnes de CO2 par an d’ici 2030. Ce chiffre impressionnant représenterait environ 20 % des émissions actuelles de la zone industrielle de Fos-sur-Mer, estimées à près de 20 millions de tonnes annuelles. Si les annonces génèrent de grands espoirs, les étapes de mise en œuvre en France, incluant les consultations publiques et la construction des infrastructures, en sont encore à leurs balbutiements.
La réussite repose donc sur de nombreux défis techniques et réglementaires. Mais cette prouesse technologique est-elle vraiment à la hauteur de ses promesses climatiques ?
Un pari à gagner ?
Le CCS se présente comme un recours ultime pour traiter les "émissions fatales", celles qui échappent aux autres stratégies de décarbonation. Par exemple, des acteurs comme Ineos ou ArcelorMittal s'appuient sur cette technologie pour compenser une grande partie de leurs émissions restantes après avoir optimisé l’électrification et le recyclage.
Pourtant, des voix critiques, comme celles de France Nature Environnement (FNE) et du Réseau Action Climat (RAC), dénoncent un "pansement sur une plaie ouverte". Tant que l’industrie ne s’attaque pas à la source des problèmes, notamment via une refonte des modes de production, le CCS risque de devenir un prétexte pour éviter des changements structurels.
Des risques réels sous les eaux
Enfouir du CO2 sous la mer Adriatique soulève des questions de sécurité majeures. Dans la région de Ravenne, identifiée comme site de stockage, les risques sismiques et les inondations répétées, exacerbées par le changement climatique, constituent de sérieuses menaces. Des inondations majeures, survenues trois fois en deux ans, illustrent la fragilité des infrastructures existantes.
Par ailleurs, l’incident de 2020 au Mississippi, où un pipeline transportant du CO2 s’est rompu, rappelle les dangers sanitaires potentiels. Les riverains ont souffert de troubles graves, notamment des pertes de connaissance dues à une fuite. Une telle catastrophe, dans une zone densément peuplée comme l’Emilie-Romagne (plus de 200 habitants/km²), pourrait avoir des conséquences dévastatrices.
En outre, des fuites à long terme du CO2 stocké sous la mer causées par des mouvements tectoniques ou l’usure des matériaux, ne peuvent être exclues. Garantir une étanchéité parfaite pendant des siècles reste un défi technique.
Un bilan climatique contesté
Paradoxalement, le CCS n’est pas exempt d’impacts écologiques. Le captage, la liquéfaction, le transport et l’enfouissement exigent des énergies énormes, alourdissant le bilan carbone. Selon l’ADEME, ces opérations devraient se limiter à des distances inférieures à 200 km pour rester écologiquement viables. Pourtant, le projet Callisto prévoit un transport transfrontalier impliquant des milliers de kilomètres, ce qui enfreint cette recommandation et alourdit le bilan carbone global.
Le coût économique, lui, est vertigineux : le seul pipeline reliant Lyon à Fos-sur-Mer pourrait atteindre 1,5 milliard d’euros. De telles sommes soulèvent des questions sur l’allocation des ressources : ne serait-il pas plus pertinent d’investir dans les énergies renouvelables ou l’efficacité énergétique, qui offrent des solutions plus durables ?
Que doit-on prioriser ?
Les consultations publiques pour Callisto et ses infrastructures débutent tout juste. Le gouvernement français a promis une enveloppe de 10 milliards d’euros pour aider les gros pollueurs à réduire leurs émissions. Cependant, cette somme ne concerne pas uniquement le CCS, mais vise plus largement la décarbonation industrielle. Mais à quel prix pour l’environnement et les contribuables ?
Le CCS pourrait offrir une bouée temporaire pour les émissions résiduelles, mais il ne doit pas devenir un "permis de polluer". La priorité devrait aller à des stratégies durables : électrification, recyclage, sobriété énergétique. Car l’enjeu n’est pas seulement de cacher notre CO2, mais de repenser nos modes de production et de consommation.
Enfouir le CO2 sous la mer ? Peut-être une solution transitoire, mais certainement pas une fin en soi. Le vrai défi reste de transformer radicalement nos économies pour construire un avenir compatible avec les limites de notre planète.
Sources de l'article :
Des giga-industries veulent se débarrasser de leur CO2 en l’injectant sous la mer