Carburants verts, aéroports neutres : qui croit encore au mythe de l'aviation durable ?

L’industrie aérienne promet des "avions verts" et des aéroports neutres en carbone. Mais entre pénurie de biocarburants et croissance du trafic, peut-on réellement croire à une aviation durable ou est-ce un leurre bien orchestré ? Décryptage.

Les carburants verts pour les avions existent, mais en quantité insignifiante.
Les carburants verts pour les avions existent, mais en quantité insignifiante.

Depuis des années, l’industrie aéronautique tente de verdir son image en promettant des avions moins polluants et des carburants "durables".

Une industrie en quête de crédibilité écologique

Pourtant, les chiffres sont implacables : l’aviation représente au moins 3 % des émissions globales de CO2, mais son impact climatique est bien plus élevé en raison des traînées de condensation et d’autres effets non CO2 qui triplent son effet réchauffant.

Malgré ces constats, les compagnies aériennes et les gouvernements persistent à croire en une aviation décarbonée. Mais à quel prix et avec quelles garanties ?

Des carburants verts...en quantité dérisoire

L’une des principales promesses de l’aviation durable repose sur les "Carburants durables d'aviation" (CDA), appelés "sustainable aviation fuel" (SAF), comme alternative au kérosène. Conformément au règlement du 13 septembre 2023, adopté par le Parlement, l’Union européenne vise 70 % de carburants verts d’ici 2050, avec un premier palier à 2 % dès 2025.

Mais aujourd’hui, ces carburants ne représentent que 0,3 % du kérosène consommé, avec une augmentation prévue à 0,7 % cette année. Même en accélérant leur production, la disponibilité des matières premières, telles que les huiles de cuisson usagées, les résidus agricoles ou les algues, reste un frein majeur.

Les compagnies aériennes mondiales pourraient ne pas atteindre leurs objectifs en matière de carburant durable. Willie Walsh, directeur général de l'IATA

À titre d’exemple, un vol Londres - Amsterdam a nécessité 3 millions de noix de coco pour être alimenté en biocarburant. À ce rythme, Heathrow, l'aéroport le plus fréquenté d'Europe, situé à Londres, viderait la production mondiale en quelques semaines ! Ce qui soulève des inquiétudes majeures quant à la durabilité de ces carburants alternatifs et à leurs effets sur l’environnement et les ressources mondiales.

De plus, le marché des huiles de cuisson usagées est peu réglementé, laissant craindre une importation déguisée d’huiles de palme, contribuant à la déforestation. Quant aux électro-carburants, ils nécessitent une quantité d’électricité colossale, ce qui les rend très coûteux et difficilement généralisables à court terme.

Des aéroports neutres en carbones… mais pas les avions !

Certains aéroports revendiquent une neutralité carbone en alimentant leurs terminaux avec des énergies renouvelables. Mais cela revient à peindre les murs en vert tout en ignorant l’éléphant dans la pièce : les avions eux-mêmes.

Un terminal basse consommation ne compense pas l’explosion du trafic aérien, qui suit une courbe ascendante constante. Qui dit "nouvelles infrastructures aéroportuaires" dit logiquement "encouragement pour la croissance du secteur", ce qui annule les efforts de réduction des émissions.

Hydrogène et avions électriques : des solutions lointaines ?

L’hydrogène, présenté comme une solution miracle, pose d’énormes défis techniques. Il doit être stocké à -253°C, ce qui nécessite de repenser totalement la conception des avions.

Supposons que l'on veuille alimenter un aéroport comme Paris-Charles-de-Gaulle en hydrogène : cela nécessiterait 10 000 à 18 000 éoliennes ou l'équivalent de 16 réacteurs nucléaires. Quant aux avions électriques, ils demeurent pour l’instant limités aux petits appareils sur de courtes distances.

Même si les carburants verts et l’hydrogène progressent, l’augmentation du trafic aérien rend toute réduction significative des émissions quasi impossible. Selon les estimations, 5 à 6 % des carburants pourraient être durables en 2030, bien loin des objectifs affichés. Pendant ce temps, le nombre de vols continue d’augmenter, rendant toute transition inefficace.

La solution : réduire le trafic

Face à ces limites, une seule solution se dessine clairement : la sobriété. Réduire les vols, taxer les trajets les plus polluants, privilégier le train pour les courtes distances… autant de mesures qui permettraient de contenir l’impact du secteur aérien. Pourtant, ces options sont systématiquement écartées par les décideurs au profit d’un récit technologique trompeur.

Les carburants verts existent, mais leur impact reste marginal. Les aéroports neutres en carbone ne changent rien aux émissions des vols.

Nous ne faisons pas autant de progrès que nous l'espérions et nous ne faisons certainement pas autant de progrès que nous en avons besoin. Willie Wals

Et la croissance du trafic réduit à néant tous les gains technologiques. Tant que le secteur continuera à privilégier l’expansion plutôt que la sobriété, toute promesse de décarbonation restera un vœu pieux.

Sources de l'article :

Jack Marley. (2025, 30 janvier). 'Sustainable' aviation fuel and other myths about green airport expansion debunked. The Conversation.

Plucinska, J., & Farge, E. (2024, 11 décembre). Les compagnies aériennes mondiales pourraient manquer leurs objectifs de carburant durable, selon Walsh de l'IATA. Reuters.

Crépin-Leblond, É. (2024, 26 janvier). L’avion vert : mythe ou réalité ? Carenews INFO.

Parlement européen. (2023, 13 septembre). 70 % des combustibles utilisés dans les aéroports de l’UE devront être verts d’ici 2050.