Les sols forestiers vont-ils devenir des sources de CO2 à cause du réchauffement climatique ?

Les sols forestiers, longtemps considérés comme des puits de carbone,
montrent des signes inquiétants de transformation. Une étude de 13 ans, menée par des chercheurs de l'Université du Michigan révèle que ces
écosystèmes pourraient progressivement devenir des sources d'émission de
CO2.

La simple protection des forêts ne suffira peut-être pas à inverser la tendance du réchauffement climatique.
La simple protection des forêts ne suffira peut-être pas à inverser la tendance du réchauffement climatique. La gestion des sols devient un défi central.

Les forêts sont souvent présentées comme les "poumons" de notre planète, absorbant le dioxyde de carbone (CO2) et stockant ce gaz dans leurs sols. Pourtant, une inquiétante découverte pourrait bouleverser cette vision idyllique : les sols forestiers pourraient devenir des sources de CO2 plutôt que des puits.

Ce retournement est principalement causé par le réchauffement climatique, qui accélère la respiration des sols.

Un mécanisme accéléré par la chaleur

La "respiration des sols" est le processus par lequel le CO2 est libéré dans l'atmosphère lors de la décomposition de la matière organique, comme les restes végétaux, décomposés par les micro-organismes, ou encore par la respiration des racines des plantes elles-mêmes.

Ce phénomène, longtemps stabilisé par l’humidité des sols et les faibles températures, est en train de changer. Avec l'élévation des températures mondiales, les sols, surtout dans les forêts boréales et tropicales, commencent à respirer plus rapidement, c’est-à-dire à libérer davantage de CO2.

Des expériences menées dans les forêts du nord du Minnesota, aux États-Unis, ont montré que des hausses de température de seulement 1,7 °C et 3,3 °C au-dessus de la moyenne ont entraîné une augmentation de 7 % et 17 % respectivement des émissions de CO2 par les sols. Cela peut sembler modeste, mais lorsqu’on prend en compte l’étendue des forêts mondiales, ce phénomène pourrait avoir des répercussions massives sur le climat.

En fait, cela se traduit par une rétroaction climatique dangereuse : plus il fait chaud, plus les sols libèrent de CO2, ce qui accélère encore le réchauffement.

Humidité et température : une danse complexe

Mais le tableau n'est pas si simple. L'humidité joue également un rôle clé dans ce processus. Les sols plus secs respirent moins, car les microbes qui décomposent la matière organique ont besoin d'humidité pour être actifs. Paradoxalement, l’assèchement des sols pourrait limiter, dans une certaine mesure, la quantité de CO2 libérée. Cependant, même dans ces conditions, les chercheurs s’accordent à dire que les sols perdront tout de même plus de carbone qu’ils n’en stockeront.

Les scientifiques estiment que ce déséquilibre pourrait causer une perte nette de carbone dans les forêts de l’hémisphère Nord. Selon Peter Reich, directeur de l'Institute for Global Change Biology, même si l'assèchement pourrait ralentir la libération de CO2, les émissions continueront d’augmenter, surtout dans les zones les plus humides, qui représentaient autrefois des puits de carbone robustes.

Les forêts tropicales, qui absorbent une grande partie du CO2 mondial, ne sont pas épargnées. Des études montrent que ces écosystèmes, soumis à des vagues de chaleur et d’assèchement croissantes, risquent de libérer à la fois du carbone ancien (stocké depuis des siècles) et de réduire leur capacité à capter du nouveau carbone. Ce double effet fragilise encore davantage leur rôle dans la régulation du climat.

Un enjeu de taille ?

Ces études soulignent l’importance de mieux comprendre le comportement des sols forestiers face au réchauffement climatique. Il faut par conséquent améliorer les modèles pour mieux anticiper les réactions des sols forestiers aux changements climatiques.

Par ailleurs, des initiatives comme le projet européen HoliSoils visent justement à évaluer la capacité des sols à continuer à jouer leur rôle de puits de carbone. Mais à mesure que les températures augmentent, il devient clair que les sols forestiers risquent de perdre leur capacité à compenser nos émissions de CO2.

Références : Liang, G., Stefanski, A., Eddy, W.C. et al. Soil respiration response to decade-long warming modulated by soil moisture in a boreal forest. Nat. Geosci. 17, 905–911 (2024). https://doi.org/10.1038/s41561-024-01512-3

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